L’adage affirme qu’on ne retient que les vainqueurs. Ce n’est pas tout à fait exact. Parfois, le deuxième devient plus grand que le premier et s’offre une place de choix dans la Légende et l’imaginaire commun. Dorando Pietri appartient à cette catégorie.
Si l’arbre généalogique de Philippidès pouvait être établi, Dorando Pietri serait en filiation directe avec le soldat athénien. Natif d’Emilie-Romagne, le coureur italien est ce que l’on appelle un modèle réduit : 1.59m sous la toise. Son histoire d’amour avec la course de fond débute à Carpi, en 1904. Le jeune Dorando a 19 ans et travaille dans un atelier de confection. Un jour de septembre, Pericle Pagliani, un des plus grands athlètes du moment, prend part à une course régionale. Survolté par le passage de l’athlète, Pietri court et finit la course devant la star. Précision notoire : le gamin porte ses affaires de travail. A partir de ce jour, son destin est tracé : il sera coureur de fond. En l’espace de 3 ans, l’Italien franchit les étapes et devient la référence dans la péninsule. Champion d’Italie du 5000m et du 20km, il est la terreur du fond et du demi-fond transalpin.
Cinq de chute
Dorando Pietri est l’espoir n°1 de l’Italie pour l’épreuve de marathon des Jeux olympiques de Londres, en 1908. C’est la première fois que la distance de 42,195 km est fixée, avant de devenir la norme en 1921. En guise de dernier galop d’essai, Pietri a couru une course de 40km en 2h38, un temps qui fait encore baver pas mal de coureurs. L’Italien court en negative split, commence tranquille avant de ramasser les morts, notamment le Sud-Africain Charles Hefferon, en tête jusqu’au km 39. Le soleil tape dur sur la capitale d’Albion. Quelques hectomètres après avoir avalé Hefferon, à l’agonie, c’est à son tour de morfler et de sentir la fatigue l’envahir.
Déshydraté, à la rupture, Pietri n’est plus lucide et se trompe d’entrée au moment de pénétrer dans le stade. Les juges lui indiquent le bon chemin. Exténué, l’Italien tombe. Il est relevé par les officiels. Il ne reste que 350 mètres mais ils ont tout du chemin de croix. Il tombe quatre autre fois, toujours relevé par les officiels. Au bout de dix minutes de lutte avec la gravité, Pietri passe la ligne en tête, en 2h 54 minutes et 46 secondes. Arrivé deuxième, Johnny Hayes porte réclamation. L’Américain a gain de cause : il s’empare de l’or tandis que Pietri est déclassé. Hayes croit entrer dans la Légende : il n’en reste qu’à la porte, pour l’éternité.
Au même rang qu’Enzo Ferrari
Touchée par le courage de l’Italien, la Reine Alexandra lui offre une coupe en argent pour le féliciter de sa bravoure et pour montrer sa désapprobation de la décision officielle. Arthur Conan Doyle est dépêché par le Daily Mail pour écrire un compte-rendu de la course. L’auteur de Sherlock Holmes, subjugué par Pietri, ouvre une souscription pour aider le coureur à ouvrir une boulangerie. En Emilie-Romagne. Irving Berlin, compositeur russo-américain, lui dédie la chanson «Dorando». Devenu professionnel, il est invité aux Etats-Unis pour des exhibitions, Pietri humilie Hayes au Madison Square Garden, le 25 novembre 1908. Il réédite sa performance en mars 1909. Devenu une des premières vedettes de l’athlétisme, Pietri court son dernier marathon le 24 mai 1910, à Buenos Aires. A cette occasion, il bat son record personnel : 2h 38 minutes et 48 secondes. Retraité de la course en 1911, à seulement 26 ans, Pietri ouvre un hôtel avec son frère, sans succès. Parti à San Remo, il a tenu un garage jusqu’à sa mort, en 1942, à 56 ans. L’image de Dorando Pietri est encore vivace en Italie. Pour le centenaire de ce marathon légendaire, la course lui rend hommage ainsi qu’à un certain… Enzo Ferrari, lors de la 12e étape, disputée entre Forli et Carpi. En mars 2012, la Rai Uno a diffusé le téléfilm «Il Sogno del Maratoneta» (le rêve du marathonien), inspiré du roman de Giuseppe Pederiali, romancier passionné par la vie du coureur. Johnny Hayes est champion olympique mais oublié des livres d’histoire qui l’ont relayé au rang d’anecdote. Dorando Pietri n’a jamais gagné de médaille d’or, mais il est une légende du sport.
François Miguel Boudet