La passion n’a pas de division

Ils étaient là, présents comme à l’accoutumée. Placés dans la tribune principale du vétuste Stade Fournier d’Arles, les « Suportaïre Arlaten» ont chanté 90 minutes durant, encourageant de la voix les joueurs Acéistes face à l’ES Pennoise, agitant les drapeaux jaune et bleu tout au long d’un match remporté à l’arrachée 1 à 0. En conflit avec la politique des dirigeants de l’AC Arles depuis le départ à Avignon et déçus par le comportement des joueurs professionnels, les « Suportaïre Arlaten » ont préféré suivre l’équipe réserve en 6ème division et retrouver la flamme qu’ils avaient perdu. Plongée dans un groupe de supporters atypique, qui privilégie l’amitié aux compromis, à contre-courant du football actuel.

Une histoire de copains

L’histoire récente de l’AC Arles sort de l’ordinaire. Premier club à être passé de la CFA 2 (nda : la cinquième division) à l’élite en seulement cinq saisons[1], l’ACA 1913 a vécu une croissance express. Dès 2007, des passionnés se réunirent et créèrent les « Suportaïre Arlaten » pour la réception de Niort en 1/16 de finale de la Coupe de France. Présents à tous les matches à domicile, ils furent les témoins privilégiés de l’ascension de leur club en un temps record et du changement de mentalités.

Or, depuis le début de saison, les supporters acéistes suivent les aventures de la réserve de l’AC Arles, dont l’équipe fanion joue en Ligue 2, au Parc des Sports d’Avignon. Sans doute une première en France. Explications. « En fin de saison dernière, nous avons eu des problèmes avec la direction quant aux tarifs sur les abonnements en Ligue 2 qui nous empêchaient de dégager des fonds nécessaires à la pérennité de l’association. De plus, nous étions frustrés, non pas de la descente en Ligue 2, mais de la manière avec laquelle les joueurs n’avaient pas respecté le maillot et les valeurs qui avaient fait la force du club. Nous savions que, pour une équipe avec un si petit budget (18 millions d’euro, vingtième budget de Ligue 1), le maintien serait quasi-impossible. Mais jouer de la sorte, avec si peu d’implication, c’était une insulte pour nous, les amoureux de l’ACA 1913[2] explique Alain Baudouy, président du groupe. L’état d’esprit, le respect des valeurs, des leitmotivs prépondérant dans une ville à la forte identité ouvrière qui vote majoritairement communiste lors des élections locales (nda : le maire Hervé Schiavetti a été élu dès le premier tour aux dernières élections municipales). « Nous ne nous reconnaissions plus dans cette équipe et nous avons donc choisi de suivre l’équipe réserve en Division d’Honneur (nda : la Sixième division), composée essentiellement d’Arlésiens» poursuit-il.

Vexés par ce manque de considération malgré leur fidélité sans faille (une dizaine de déplacements partout en France la saison dernière en dépit de résultats déplorables), les « Suportaïre Arlaten » n’ont pas accepté le départ définitif de l’équipe professionnelle à Avignon, non seulement pour les matches, mais aussi pour les entraînements qui, jusqu’alors, avaient lieu sur le terrain annexe du Stade Fournier. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour ces nostalgiques de l’époque Michel Estevan, le charismatique entraîneur arlésien entre 2005 et 2010 qui mena les Lions de l’amateurisme au professionnalisme : « quand on jouait en National (nda : la troisième division), les joueurs n’étaient certainement pas les meilleurs techniquement mais ils gagnaient grâce à cet état d’esprit qui a été notre marque de fabrique et qui nous a menés jusqu’en Ligue 1 en un temps record » ajoute Alain.

Si la notion d’identité est prépondérante pour les « Suportaïre Arlaten », être Arlésien n’est pas une condition sine qua non à l’adhésion. Elu secrétaire adjoint lors de la dernière Assemblée Générale, Kevin Dumont confirme : « j’ai connu le club par le neveu de Coach Estevan avec qui j’étais en classe, en BTS. J’étais déjà venu une paire de fois au Stade Fournier quand l’ACA jouait en National ; j’appréciais la motivation du groupe. Je souhaitais en faire partie mais, inconsciemment, en tant que pur Avignonnais, j’avais peur d’être mal accueilli. ». Des doutes qui s’estompèrent vite : « Après la montée en L1, je suis passé outre toutes les polémiques nées du rapprochement entre Arles et Avignon et j’ai été très vite accepté. ». Comme bon nombre de Vauclusiens qui ne suivent le club que depuis qu’il joue ses matches à domicile à Avignon, il aurait pu suivre l’ACA en L2 et ne plus être encarté aux « Suportaïre Arlaten » mais, solidaire, il continue l’aventure en DH. Par conviction mais aussi « car j’ai trouvé une véritable bande de potes. Avec eux, c’est bien simple, j’ai l’impression de pouvoir soulever des montagnes ! ».

Un retour aux sources

C’est d’ailleurs ce retour aux sources qui a fait revenir Frédéric Huertas au stade. Président fondateur des « Suportaïre Arlaten » en 2007, cet informaticien indépendant avait en travers de la gorge le manque de reconnaissance des joueurs après la montée en L2 en mai 2010 et avait démissionné de son poste : « quelque chose s’était brisée en moi dès le match de la montée en Ligue 1 contre Clermont Foot. Nous étions restés dans les tribunes plus de deux heures après le coup de sifflet final mais les joueurs n’ont pas daigné venir nous remercier. Pourtant, nous avions fait plusieurs déplacements en minibus, à Metz et Sedan notamment. Leur manque de reconnaissance m’avait dégoûté à tel point que je n’étais même pas allé à la fête organisée le lendemain sur la Place de la Mairie d’Arles».  Mais, depuis septembre dernier, il a repris son tambour et sa bonne humeur communicative, à la grande satisfaction de tous les membres qui avait même créé un groupe sur Facebook pour qu’il revienne parmi eux ! « Aujourd’hui, on se reconnaît à nouveau dans l’équipe. On retrouve cet esprit combatif. Surtout, contrairement aux professionnels, on sent une véritable reconnaissance des joueurs. Après le match, on discute longtemps avec eux, c’est convivial. Pour nous, ce sont eux l’avenir du club et quand on voit leurs performances actuelles (nda : le club est actuellement deuxième de son groupe), on se dit que l’équipe réserve n’est pas celle que l’on croit. » affirme-t-il. Une constatation qui prend tout son sens à l’heure où l’équipe de Ligue 2 a achevé son année cauchemardesque par une correction infligée à domicile par Istres lors du derby des Bouches-du-Rhône (1-5), ce qui la place à l’avant-dernière place du championnat à la mi- saison.

Dans une ambiance digne d’une colonie de vacances,  les « Suportaïre Arlaten » retrouvent le plaisir de soutenir des joueurs qui ne lâchent rien sur la pelouse et avec qui ils entretiennent des relations cordiales : « On est entre dix et quinze à chaque match. On est quelques « anciens » pour structurer tout ça car nous voulons être exemplaires partout où nous allons, même si certains peuvent nous trouver ridicules. Mais la vérité, c’est que depuis le début de la saison, on a retrouvé la ferveur et on se régale à chaque fois ! » sourit Alain. « A coup sûr, on n’est pas les plus nombreux mais, au nombre de décibels, on n’est certainement pas les derniers ! »  se marre Choa, un Arlésien exilé à Paris qui revient au Stade Fournier dès qu’il en a l’occasion. « Seule compte la ferveur. C’est cela qui fait notre force. Nous sommes soudés et c’est le principal. Nous vivons une époque où les équipes professionnelles sont constituées de mercenaires, sans joueurs formés au club ; les stades sont aseptisés pour attirer une nouvelle population qui n’y connaît rien en football, des Footix[3], mais qui sont prêts à acheter des maillots multicolores et des produits dérivés inutiles. Aujourd’hui, beaucoup de  supporters historiques ne se reconnaissent plus dans leur équipe et ne retrouvent plus ce lien identitaire. En quelque sorte, les « Suportaïre Arlaten » font figures de précurseurs » ajoute-t-il.

Une ferveur qui reçoit un bon accueil, à Arles mais également, et c’est bien plus surprenant, en déplacement. Habitués à suivre leur équipe dans les divisions amateurs, les supporters toulonnais, pourtant connu pour être extrêmement exigeants, ont confié leur admiration lors de leur venue à Arles. Des compliments qui ont valeur de médaille. Ce n’est pas pour rien que les Arlésiens ont repris leur slogan « la passion n’a pas de division ». A Orange, les dirigeants sont eux-mêmes venus les remercier pour avoir animé le stade, chose peu banale pour un match de 6ème division. « Les dirigeants acéistes ont commis une grosse erreur en cherchant le rapport de forces avec les Suportaïre Arlaten. Maintenant, le Parc des Sports d’Avignon est vide et muet. Tout le contraire du Stade Fournier. Et c’est vrai qu’entendre des chants pendant 90 minutes pour des matches d’un tel niveau, ce n’est vraiment pas banal. C’est carrément étrange pour de telles rencontres !» appuie Laurent Rugiero, directeur de la rubrique sport à l’antenne d’Arles du journal La Provence qui suit le quotidien du club depuis de nombreuses années.

Un dialogue définitivement rompu ?

Jadis condescendants, les dirigeants acéistes ont bien essayé de faire revenir les « Suportaïre Arlaten » au Parc des Sports. Peine perdue. Il faut dire que l’enceinte avignonnaise sonne désespérément creux depuis leur départ. Les « Barankaïres », groupe de supporters vauclusien créé en 2009 lors de la montée en L2 et désormais seule organisation officielle à venir à tous les matches à Avignon, ne font pas le plein, et c’est un euphémisme : « la dernière fois, je les ai comptés, ils étaient douze et ne chantaient guère » glisse Alain, amusé par ce retour de bâton. Conscients que le boycott des « Suportaïre Arlaten » constituait un véritable préjudice pour le club, les dirigeants souhaitaient organiser une réunion de la dernière chance. Finalement, cette rencontre, prévue fin décembre, n’a pas eu lieu, au grand désappointement des Suportaïres. « Pour nous, c’est terminé ! On était supposé avoir un entretien avec Robert Nouzaret (nda : le nouveau conseiller du Président Marcel Salerno) et un dirigeant devait nous appeler pour confirmer le rendez-vous mais il ne l’a pas fait ! Ce n’est pas la première que l’on nous méprise mais ce sera la dernière. Sauf que le préjudice est uniquement pour eux, pas pour nous. Leur stade est toujours vide tandis que nous continuons à nous amuser à chaque match » assène Alain, amer et visiblement meurtri par cet acte manqué.

Seul motif de « réjouissance », en cas de descente en National au terme de la saison 2011/2012, il n’est pas acquis que l’ACA joue toujours au Parc des Sports. Un retour à Arles pourrait bien être envisagé, au Stade Fournier ou à la flambant neuve Plaine des Sports, inaugurée en 2011. L’occasion, peut-être, de renouer avec la « belle époque » de l’AC Arles, avant le professionnalisme.

Si le nombre d’adhérents est forcément en diminution, la décision radicale prise par les « Suportaïre Arlaten » inspire respect et admiration. Evidemment, les joueurs sont ravis de ce soutien et les bons résultats actuels de l’équipe ne sont sûrement pas étrangers à ces quelques supporters qui placent le plaisir d’être ensemble au-dessus de tout.  Définitivement, une autre manière de voir le football à une époque où les comportements sont trop largement conditionnés par les résultats.

François Miguel Boudet

Pour lire l’épisode 2, c’est par ici!


[1] De 2004 à 2010, les Arlésiens sont passés de la CFA 2, l’équivalent de la cinquième division, à la Ligue 1. Seuls Laval et Auxerre ont fait aussi bien mais en plus de temps.

[2] Paradoxalement, le club s’appelle AC Arles 1913 alors qu’il a été officiellement créé…en 1912.

[3] Dans le langage supporter, le « Footix » est une personne qui a découvert le football après la victoire de l’Equipe de France au Mondial 1998, qui n’a pas de connaissances footballistiques et qui vient au stade sans comprendre ni le jeu ni la culture « supportériste ».

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3 commentaires pour La passion n’a pas de division

  1. Jéjé d'ici ou labas ;) dit :

    Vous avez une autorisation pour publier ces photos ? Je suis dessus avec mes drapeaux, j’ai le droit de toucher quelque chose 😉 mdr. Ces très bien dit tout sa Forza L’ACA

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